Werner Böckenförde

Werner BÖCKENFÖRDE: A propos du droit dans l’Eglise Catholique Romaine d’aujourd’hui.

Remarques d’un canoniste.

C’est sous le titre “ Liberté du chrétien au lieu d’un pouvoir sacré? ” que s’est déroulée l'an dernier la cinquième des rencontres fédérales du Mouvement du Peuple de l’Eglise “ Nous sommes Eglise ” (Allemagne) les 3 et 4 octobre 1998 à Würzburg. Après le succès constitué par sa présence au “ Congrès des Catholiques Allemands ” à Mayence (entre autres dans le cadre d’une manifestation réalisée sous la responsabilité commune de “ Nous sommes Eglise ” et du “ Comité central des Catholiques allemands” à laquelle ont participé l’évêque J. Gaillot et le Professeur Zulehner) et par l’ “ Initiative ‘Eglise à la base’ ” (dans le forum commun consacré aux synodes de Würzburg et de Dresde) il fallait procéder à un bilan de la situation actuelle et définir des actions futures, et cela sur l’arrière-plan des décrets romains de ces mois derniers (Conseils aux femmes enceintes en situation de conflit, Instruction sur les laïcs, Motu proprio “ Ad tuendam fidem ” ), ainsi qu’à la préparation de la deuxième Assemblée Spéciale du Synode des évêques d’Europe (pour 1999).
C’est pour introduire ces débats que le Prof. Werner Böckenförde, (chanoine émérite du chapitre de la cathédrale de Limburg et Professeur de Droit canon et de Législation Civile Ecclésiastique à Francfort) a été invité comme orateur . Nous publions ci-dessous le texte de la conférence donnée par le Prof. Böckenförde, dont on a conservé le style oral, tout en renonçant aux notes. Ce texte a été revu pour être publié.

(Nikolaus Klein)

L’invitation à vous parler aujourd’hui, qui m’a été adressée, m’a étonné. Au cours d’un entretien préalable avec Monsieur Weisner j’ai fait part de ma crainte que ma conférence ne risque de le mettre en difficulté, tout comme ces dames et ces messieurs qui sont membres de l’équipe fédérale. Mon propos n’allait pas être du genre d’une “ théologie dominée par des sentiments d’indignation et de tristesse ” (V. Conzemius) auquel nous sommes maintenant habitués mais se concentrerait sur une analyse de l’évolution des dix dernières années sous l’angle du Droit canon. Je voyais le risque de créer la désillusion, sinon même la démotivation, en portant un regard froid sur de dures réalités juridiques. Je demandai s’il ne serait pas plus utile à votre mouvement d’inviter l’un de ces nombreux théologiens qui se considèrent comme progressistes. Votre équipe a insisté pour m’inviter. Et j’espère qu’elle n’a pas ainsi “ amassé des charbons ardents sur sa tête ”. Nous nous sommes entendus pour que derrière le sujet arrêté pour cette assemblée fédérale “ Liberté du chrétien au lieu d’un pouvoir sacré ”, figure comme il se doit un gros point d’interrogation.
Le ressort de votre mouvement et de vos actions, c’est le Concile de Vatican II. C’est dans son cadre que la souffrance provoquée par l’Eglise et ressentie même par des évêques s’est donné libre cours. Compte tenu de tous les compromis qui ont marqué les textes votés un soubresaut a secoué l’Eglise. Enfin une réaction à l’ultramontanisme du siècle dernier, à l’anti-modernisme du début de ce siècle et à l’étroitesse tout aussi étouffante des années cinquante. Les textes conciliaires et beaucoup parmi leurs commentaires dessinaient un visage plus aimable de l’Eglise. On avait l’impression que la bride était relâchée. Les laïcs prenaient une conscience grandissante de leur valeur, ils se redressaient. Ils ne voulaient plus être seulement l’Eglise à l’écoute passive, tenue à l’obéissance. De nombreux fidèles espéraient en la réalisation des nombreuses promesses dont les textes conciliaires étaient le fondement pour l’annonce de la Parole et la théologie. On espérait voir naître une Eglise de frères et soeurs, dans laquelle tous les fidèles, hommes et femmes, clercs et laïcs, pourraient reconnaître leur égale dignité, telle qu’on la proclamait. Ils attendaient que leur soient confiées les compétences correspondantes pour la réalisation de la vie ecclésiale. On espérait voir la fin du “ pouvoir sacré ” exercé par un petit nombre de hiérarques sur de nombreux fidèles , ainsi que l’entrée de la liberté des chrétiens jusque dans l’Eglise Catholique romaine. Et plus le temps passa, plus la déception fut grande pour beaucoup.
Je le répète : c’est un spécialiste de droit canon que vous avez invité à faire cette conférence. Celle-ci a pour titre “ Remarques d’un canonistes à propos du droit dans l’Eglise Catholique Romaine aujourd’hui ”. Mes explications seront en deux parties: il sera d’abord question d’une présentation de la situation actuelle, et ensuite d’indications sur la conduite possible à l’usage des fidèles dans ce contexte.

I. L’état du droit ecclésial.

1. Le Code de droit canon (Codex Juris Canonici).-

Dix-huit ans après la fin du Concile le Pape actuel en a défini des applications juridiques. En dépit de toutes ses modifications appréciables le Codex Juris Canonici montre à l’évidence qu’aucune conséquence juridique décisive ne devait être tirée du Concile. Le législateur de l’Eglise - et celui-ci est d’après la constitution de l’Eglise en dernier ressort le pape seul - s’est montré décidé non seulement à juguler toute remise en question de la structure hiérarchique de l’Eglise mais aussi à la renforcer encore. L’image de l’Eglise telle que la conçoit le Pape s’exprime dans les recueils juridiques édictés par lui, qui ont force de loi pour tous les catholiques, hommes et femmes, et dans la mesure où leur contenu est de droit divin, pour tous les hommes. Je me limiterai au Codex Juris Canonici qui nous intéresse dans notre contexte.
a) La situation juridique.-

A la différence du Concile de Vatican II le législateur ne désigne que le pape comme “représentant du Christ” et non pas les évêques aussi. C’est lui qui est “ la tête du collège des évêques ” et “ le pasteur de l’Eglise universelle ”. C’est lui qui dispose du pouvoir suprême et direct dans l’Eglise. C’est lui qui détient la “ primauté ” d’un pouvoir ordinaire sur les évêques diocésains , c’est-à-dire la “suprématie ” dans l’Eglise. Il n’existe pas de recours juridique contre ses verdicts ou ses décrets , même pas pour les évêques. C’ est en union avec le pape que le collège des évêques est également détenteur du pouvoir suprême dans l’Eglise universelle, et jamais sans lui.
A l’évêque diocésain sont conférés dans le diocèse qui lui est confié des pouvoirs autonomes et directs; toutefois ce qui, au terme du code pontifical ou d’une disposition spéciale du pape , relève de l’autorité suprême dans l’Eglise en est exclus.
Les évêques gouvernent leurs diocèses en exerçant le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire. Les doctrines qu’ils proclament au nom de la foi et les dispositions qu’ils prennent comme chefs doivent être observés par les fidèles - conscients de leur propre responsabilité - dans une obéissance chrétienne (c.212 §1 CIC). Le refus d’obéissance fait, après un avertissement, l’objet de sanctions (c. 1371 n. 2 CIC ).
On peut illustrer à titre d’exemple la manière dont les évêques sont concrètement assujettis au pape dans la communion hiérarchique, par les critères observés pour le choix de candidats à la fonction épiscopale et par le serment de fidélité que tout évêque diocésain doit prêter selon la formule en usage depuis le 1er juillet 1987 avant de “ prendre possession ” de son siège:
Parmi les critères d’aptitude je vous citerai les points relatifs à la vraie foi et à la discipline. A propos de la “vraie foi ”, voici ce qu’on attend:

“ Un attachement à la doctrine et au magistère de l’Eglise dans la conviction et la fidélité. Et spécialement en ce qui concerne les positions du candidat concernant les documents du Saint-Siège sur le sacerdoce, l’ordination sacerdotale des femmes, le mariage et la famille, la morale sexuelle (et particulièrement la transmission de la vie conformément à la doctrine de l’encyclique ‘ Humanae vitae’ et de la lettre apostolique ‘Familiaris Consortio’) et la justice sociale . La fidélité envers la vraie tradition de l’Eglise et un engagement au service du renouveau véritable inauguré par le Concile de Vatican II et par les enseignements pontificaux qui ont suivi ”.

A propos de la “ discipline ” il est dit:

“ Fidélité et obéissance envers le Saint Père , le siège Apostolique, la hiérarchie , respect et acceptation du célibat ecclésiastique, tel qu’il est exprimé par le magistère de l’Eglise ; adhésion et soumission aux normes générales et particulières concernant l’accomplissement du service divin ainsi que les vêtements des ministres de l’Eglise.”

Le serment de fidélité (serment prononcé par les évêques diocésains depuis le 1er juillet 1987 lors de leur prise de fonction) est le suivant:

“ Moi, N., qui ai été nommé au siège épiscopal de NN, je resterai toujours fidèle à l’Eglise catholique et à l’évêque de Rome, son pasteur suprême, représentant du Christ et successeur de l’apôtre Pierre dans la primauté, et chef du collège des évêques.
Je me conformerai au libre exercice du pouvoir suprême du pape dans toute l’Eglise, je m’efforcerai de promouvoir et de défendre ses droits et son autorité. Je reconnaîtrai et respecterai les prérogatives et les pouvoirs exercés par les délégués du pape qui interviendront pour le représenter.
J’exercerai avec le plus grand soin les pouvoirs apostoliques conférés aux évêques pour enseigner, sanctifier et diriger le Peuple de Dieu, dans la communion hiérarchique avec le collège des évêques, sa tête et ses membres.
Je soutiendrai l’unité de toute l’Eglise et c’est pourquoi je veillerai scrupuleusement que soit conservé dans sa pureté et son intégralité le fondement de la foi qui a été transmis par les apôtres et que les vérités soient respectées et la morale observée telles que le magistère de l’Eglise les a présentées, les enseigne et les explique à tous. Je corrigerai dans un esprit paternel ceux qui s’écartent de la vraie foi et j’engagerai toute mon énergie pour qu’ils retrouvent la plénitude de la vérité catholique. ..
A des moments fixés ou à l’occasion je rendrai compte au Siège Apostolique de ma mission pastorale et j’accepterai sans réserve ses mandats et ses conseils et les exécuterai avec zèle.”

En dépit de toutes les théologies et idéologies présentées sur la communion avec enthousiasme c’est l’ancienne interprétation de l’Eglise, comme “ societas inaequalis” qui domine dans le droit canonique actuel. Et c’est bien ce que le pape a déclaré vers la fin (!) du Concile de Vatican II à la commission qu’il avait constituée: Le Droit canon se fonde, dit-il, sur le pouvoir de juridiction que le Christ a conféré à la hiérarchie . Les laïcs sont dépourvus du pouvoir de gouvernement. Ils sont, selon lui, subordonnés à la hiérarchie et tenus en conscience d’obéir aux lois conformément à la parole “ Qui vous écoute m’écoute et qui vous méprise me méprise ” (Luc, XX, 16). Et c’est en vertu de cette déclaration pontificale que le nouveau code a été élaboré . Je ne connais du reste aucune prescription qui contredise la lettre d’une décision ou l’esprit du Concile qui, sur bien des points, reste ambigu.
Le système fondé sur le commandement et l’obéissance s’applique également dans le domaine de la proclamation de la vraie foi . Tous, - même les évêques - doivent croire ce qui est contenu dans la Parole de Dieu, écrite ou transmise , et qui a été présentée comme révélation de Dieu, par l’intermédiaire soit du pape soit d’un concile soit du magistère ordinaire du collège des évêques Dans ces cas le pape ou le collège des évêques jouit de l’infaillibilité . Quiconque contrevient obstinément à de telles doctrines encourt la peine de l’excommunication.
Tous, même les évêques, doivent accepter dans une obéissance de l’intelligence et de la volonté une doctrine du pape ou du collègue des évêques , qui a force de loi, même si elle n’est pas proclamée comme définitive. Quiconque refuse de telles doctrines et n’abjure pas après une mise en garde, devra être sanctionné selon la volonté du législateur. Les évêques sont astreints à engager des actions disciplinaires. Ce qui jusqu’en 1983 était déjà prescrit comme moral, est maintenant devenu une obligation juridique dont la non-observation est passible de sanctions.
Ces passages sur le pape, les évêques diocésains et les laïcs le montrent bien: même après le Concile la direction hiérarchique de l’Eglise reste intacte. L’appel à l’égalité de tous les fidèles a reçu dans le c. 208 la réponse suivante: D’après la définition du magistère “ véritable ” égalité réside dans le baptême. C’est une égalité qui inclut l’inégalité dans la situation juridique, dûe à la catégorie sociale et au sexe. Dans le c. 208 du CIC il est dit: “ Entre tous les fidèles. .. il existe ... une véritable égalité. .., en vertu de laquelle tous coopèrent à l’édification du Corps du Christ, selon la condition et la fonction propres de chacun ”. Au désir ardent de liberté et de responsabilité a été opposée l’exigence de l’obéissance fondée uniquement sur l’autorité formelle, indépendamment d’une adhésion intellectuelle. Les laïcs constituent aujourd’hui encore l’Eglise qui écoute passivement. Tel est le cadre juridique avec son exigence d’obéissance.

b) Le droit et la réalité. -

Et qu’en est-il du respect de ces exigences juridiques? Du côté de ceux qui sont “assujettis” au droit canon, dans la réalité vécue du droit, certaines choses ont changé. A quel point le droit de l’Eglise est-il encore pris au sérieux aujourd’hui? Il ne peut effectivement s’imposer qu’auprès de ceux qui sont au service de l’Eglise, qui dépendent d’elle matériellement. Un abîme se creuse entre ce qui est exigé par Rome et ce qui se passe concrètement dans la pastorale . Ce fossé peut être manifeste entre prêtres et laïcs, mais aussi entre l’évêque diocésain et ses prêtres, en partie également entre le Pape et les évêques . On dit: “ Fulda est loin, Cologne est loin, Rome est encore plus loin ”. Beaucoup de clercs et de laïcs se sentent obligés en conscience de refuser l’exécution des ordres venus de Rome, ce que de nombreux évêques diocésains tolèrent tant que ce n’est pas dans le journal ou tant que personne ne s’en plaint.
Et c’est ainsi que - surtout en Europe occidentale et aux Etats-Unis mais nullement là seulement - se manifeste une nette disparition progressive de l’autorité de l’Eglise universelle. Au lieu d’exécuter dans l’obéissance ce qui est ordonné sans fondement, les fidèles se souviennent qu’il y a eu jadis des temps où régnait l’adage: “ L’onction que vous avez reçu de Lui, l’Esprit du Christ, reste en vous et vous n’avez à recevoir d’enseignement de personne;. .. restez en lui ” (cf. Jean, I, 27). Cette perte d’autorité n’a pas échappé au Pape et à ses collaborateurs les plus proches. Il s’est posé la question: Changer ou renforcer le droit? Un coup d’oeil jeté sur les dix dernières années nous montrera le résultat : Avec l’acharnement rageur qui accompagne le mot d’ordre “c’est plus que jamais le moment! ” et sans tenir compte du risque de marginalisation culturelle, ce fut la seconde variante qui a été choisie.

2. Dix ans d’ordonnances romaines

a) Suppléments à la “ Professio Fidei ” et introduction d’un nouveau serment de fidélité .-

D’après le code certaines personnes qui ont en commun un lien particulier avec l’Eglise (par exemple des évêques, des cardinaux, des enseignants et enseignantes de théologie, des candidats au sacerdoce avant l’ordination au diaconat) doivent faire avant leur prise de fonction ou avant leur consécration une profession de foi selon une formule approuvée par le Siège Apostolique. En vertu de celle-ci ils s’affirment en pleine communion avec l’Eglise catholique romaine. Et bien que le nom en soit “ profession de foi ”, il n’y est pas seulement question du Credo. D’autres doctrines y sont intégrées comme suppléments.
Depuis 1990 ce sont en fait des suppléments bel et bien nouveaux qui sont en vigueur. Dans le premier et le troisième on doit professer formellement ce qui figure déjà dans le Code: la foi portant sur les doctrines révélées, l’obéissance à propos de toutes les doctrines qui ne sont pas définitives . Dans le second supplément on est allé au-delà des limites du code. On demande que soient fermement acceptés et préservés - c’est-à-dire par une adhésion irrévocable - d’autres articles de foi et de morale définitifs autres que ceux que contient la révélation. Dans la théologie post-conciliaire on a contesté que toute compétence d’un enseignement définitif puisse jamais être attribuée au magistère dans ce domaine. Mais l’autorité de l’Eglise universelle n’a jamais fait planer le doute sur cette exigence et traduit maintenant ses positions en termes juridiques . Les trois suppléments ont été publiés en latin. Les conférences épiscopales ont été chargées des traductions. La Conférence des Evêques d’Allemagne n’a, jusqu’à ce jour, pas publié de traduction officielle. En Allemagne la promesse n’a en général pas été exigée sous cette forme; on a utilisé l’ancienne formule de 1967.
La profession de Foi a été étayée par l’introduction d’un serment de fidélité . Jusque là seuls les évêques étaient liés par un serment particulier. Et maintenant ceux qui détiennent d’autres fonctions - par exemple les vicaires généraux, les candidats au sacerdoce , les enseignants et enseignantes en théologie - doivent être spécialement assermentés. Au terme de cette formule , celui ou celle qui la prononce s’engage par cette démarche religieuse à accomplir les devoirs liés à son service en se conformant à la doctrine concernant la foi et la morale ainsi qu’à l’ensemble des dispositions juridiques. Alors que le c. 212 § 1 du CIC mentionne également , à côté de l’obéissance chrétienne aux doctrines et aux prescriptions des pasteurs, la “ conscience de la responsabilité personnelle ”, cette référence manque dans la formule du serment. Ce qui renforce l’interprétation canonique de l’article du CIC selon laquelle, aux yeux du législateur, l’obéissance est le critère de l’action responsable, tandis que la responsabilité personnelle n’est pas le critère de l’obéissance requise. C’est nettement à cette interprétation que correspond le c. 752 CIC.
Le but de cette mesure est clair: le fossé qui sépare la norme de son accomplissement devra être comblé au moins à l’étage de la direction et des exécutants: le serment élève les devoirs qui doivent être assumés à la dimension religieuse. Le faux-serment prémédité fait partie des délits commis contre la religion et contre l’unité de l’Eglise (c. 1368 du CIC ).
Le législateur a remarqué que ses exigences juridiques n’avaient, énoncées dans le code , aucune efficacité. Il ne pouvait pas non plus garantir leur accomplissement par des interventions dans chaque cas particulier. Et c’est pourquoi, par analogie avec le serment anti-moderniste de sinistre mémoire, il a eu recours à la méthode de la prévention universelle. Il en a imposé l’obligation à ceux et celles qui étaient les intermédiaires de l’exécution. C’est eux que visaient les suppléments au Credo et l’amalgame entre profession de foi et serment de fidélité : ils devaient offrir une protection universelle contre toute déviation des prescriptions authentiques de la hiérarchie en matière de doctrine et de discipline. Le journaliste Guido Horst a rapporté dans le quotidien “ Deutsche Tagespost ” que la Curie romaine avait exposé elle-même une traduction allemande dans la salle de presse du Vatican pour que la réalisation de sa demande soit également garantie pour l’Eglise d’Allemagne.

b) Instruction “Donum Veritatis ” de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur la vocation des théologiens au service de l’Eglise en date du 24 Mai 1990. -

Il y a eu d’autres tensions entre le magistère de l’Eglise et les théologiens. En 1990 la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a adressé une instruction aux évêques en leur qualité de détenteurs du pouvoir exécutif. Il y est question entre autres de l’attitude soumise envers les doctrines non définitives. Le refus d’adhésion à de telles doctrines et des conflits publics déclarés avec le magistère sont prohibés. “ Dans ces cas le théologien n’aura pas recours aux médias mais s’adressera à l’autorité responsable ”. (No 30). Une difficulté qui ne pourrait être surmontée par un contact direct avec l’autorité ecclésiale pourra exceptionnellement aboutir à l’obéissance par le silence. “ Une attitude de loyale fidélité sous-tendue par l’amour de l’Eglise peut certainement être une épreuve douloureuse dans une telle situation. Mais cette dernière peut comporter un appel à la souffrance dans le silence et la prière avec la certitude que, s’il s’agit de la vérité, celle-ci finira nécessairement par triompher ” (No 31). Il est fait aux pasteurs locaux une stricte obligation d’intervenir avec les moyens appropriés.

c) Instruction “ Il Concilio ” de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur quelques aspects de l’utilisation des moyens de communication sociale pour la transmission de la doctrine de la foi en date du 20 mars 1992. -

Lorsque, par la suite, une opposition publique contre l’autorité n’eut également de cesse dans les media, cette même congrégation en conclut que des problèmes relatifs à la surveillance de ces moyens de communication par les évêques subsistaient encore. Et c’est pourquoi elle décida de rappeler, dans une nouvelle instruction datée de 1992 aux autorités des Eglises locales, leur devoir de contrôle et les moyens prescrits dans ce but par le code. Cette instruction pratique fait aux évêques diocésains et aux administrations qui dépendent d’eux l’obligation d’appliquer systématiquement les normes et renvoie en cas de nécessité aux possibilités d’intervenir dont dispose l’Eglise universelle.

d) La Lettre Apostolique “ Ordinatio Sacerdotalis ” du Pape Jean-Paul II aux évêques sur l’ordination sacerdotale réservée aux hommes, en date du 22 Mai 1994. -

En 1994 a suivi la Lettre Apostolique “Ordinatio Sacerdotalis ” sur l’impossibilité pour les femmes de recevoir l’ordination sacerdotale. On a d’abord discuté le caractère normatif de cette doctrine. Le pape la caractérise maintenant comme définitive , c’est-à-dire comme irrévocable et irréfutable. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi l’a classée comme doctrine infaillible au sens de la seconde adjonction au Credo et déjà mentionné. Ce qui est exigé, c’est l’adhésion sans réserve et irrévocable à cette doctrine définitive. Le Pape a, ce faisant, invoqué l’infaillibilité du magistère ordinaire et universel du collège des évêques répandu dans le monde. L’infaillibilité de la doctrine repose donc sur l’accord régnant sur elle au sein du collège des évêques. En prenant acte de cet accord et vu que du côté des évêques aucune opposition ne s’est manifestée, il en fait reconnaître l’infaillibilité aux yeux des fidèles et les dispositions pour son application exigées par le Droit peuvent être appliquées efficacement. Au cas où des propos manqueraient de netteté à ce sujet, des sanctions sévères pourraient être prises par Rome. Toutefois lorsqu’il n’existe pas de rapport de dépendance vis-à-vis de l’autorité ecclésiale, la poursuite de la discussion et les exigences concernant l’ordination sacerdotale des femmes n’ont pu être jugulées.

e) L’Encyclique “ Evangelium Vitae ” du Pape Jean-Paul II sur la suppression préméditée de la vie humaine en date du 25 mars 1995. -

On discute dans la société sur la justification de la peine de mort, la légitimité morale et juridique de l’avortement ainsi que sur le problème de l’euthanasie . En 1995 est parue l’Encyclique “ Evangelium vitae ”. Dans ce document le Pape constate sa communion avec les évêques dans la doctrine selon laquelle la suppression de la vie d’un être humain innocent est toujours un délit moral grave, de même que l’avortement et l’euthanasie. Ces doctrines font également partie de la seconde adjonction au Credo et requièrent une adhésion sans réserve et irrévocable à des normes morales concrètes. Une fois de plus le pape a eu recours à l’infaillibilité du collège des évêques dans le magistère et en constatant leur consensus, il a décrété l’infaillibilité de la doctrine ainsi fondée. Il a caractérisé cette forme d’enseignement infaillible comme ordinaire et quotidienne. Par cette encyclique le pape a pour la première fois réclamé l’infaillibilité pour des normes morales pratiques et concrètes.

f) Vademecum à l’usage des confesseurs à propos de quelques questions sur la morale du couple. -

En février 1997 le Conseil Pontifical pour la Famille a publié un guide à l’usage des confesseurs. Ce document a été établi “ selon le voeu exprès du Saint Père ”. Il y est dit: “ L’Eglise a toujours enseigné que la contraception, c’est-à-dire tout acte par lequel la fécondité est délibérément détruite, relève en soi du péché. Cette doctrine est à considérer comme définitive et immuable ”. C’est la doctrine de “ Humanae vitae ”. Un porte-parole du Vatican a déclaré et écrit après la publication de cette dernière encyclique qu’elle n’était pas un document infaillible. Le Conseil Pontifical a muni cette doctrine d’un ajout sur son caractère immuable et définitif. Celui-ci est jusqu’à aujourd’hui ici une affirmation gratuite. Il faut espérer qu’un nombre suffisant d’évêques se manifestera pour le contester. Sinon le Pape pourra agir comme jusqu’ici selon le vieil adage juridique: “ Qui ne dit mot consent ”. (“ Qui tacet consentire videtur ”) Le silence des évêques serait alors considéré comme l’expression d’une conviction valant confirmation.

g) L’instruction “ De synodis diocesanis agendi ” de la Congrégation des Evêques et de la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples, en date du 19 mars 1995. -

En mars 1997 a été transmis aux évêques sous la forme d’une instruction un guide pour la bonne conduite de synodes diocésains et d’assemblées du même genre. Avant le début des débats les membres du synode prononceront le Credo avec ses ajouts. L’instruction souligne la position de l’évêque diocésain. Il lui est fait obligation de renvoyer les membres du synode dont les opinions s’écartent de la Doctrine de l’Eglise ou s’opposent à l’autorité de l’évêque, en utilisant les voies de droit autorisées . Les liens qui rattachent le diocèse et son chef à l’Eglise universelle et au pape imposent à l’évêque diocésain le devoir d’exclure de la discussion: des thèses ou des opinions, même lorsqu’elles sont (seulement) déposées pour être adressées sous forme de requêtes officielles au Saint Siège, qui divergent de la Doctrine de l’Eglise ou du magistère pontifical, ou encore qui sont réservées à l’autorité suprême (cf texte IV,4). En Allemagne on a tenu sous diverses dénominations (entre autres celle de “ forums ”) des assemblées parasynodales pour ne pas être lié aux règles énoncées par le code. L’instruction exprime le voeu que l’évêque diocésain édicte pour de tels rassemblements des dispositions qui ressemblent à celles de l’instruction (Préface, paragr. 4).

h) Instruction sur quelques questions relatives à la collaboration des laïcs au ministère de prêtres en date du 15 août 1997. -

En novembre 1997 est parue, rédigée par plusieurs congrégations, l’instruction sur quelques questions relatives à la collaboration des laïcs au ministère des prêtres . De nombreuses polémiques ont éclaté contre son contenu, sans doute parce que des dispositions restrictives concernant les laïcs y sont contenues. Pour quiconque connaît le droit canon celles-ci sont courantes depuis des années. Ce qui, de mon point de vue, est irritant, c’est l’indication qu’en faisant appel à des laïcs on aboutit “ à un recul des candidatures à la prêtrise ” (2) ainsi que la disposition de l’article 4, § 2 selon laquelle “ l’accomplissement de la 75ème année n’est, pour un ministre, pas un motif faisant obligation à un évêque d’accepter sa démission ” .

i) Document Apostolique Motu Proprio nommé “ Ad tuendam fidem ”, par lequel certaines normes sont introduites dans le Code du Droit Canon et dans le code des Eglises orientales, en date du 18 mai 1998. -

Par le Motu Proprio “ Ad tuendam fidem ” publié en juin 1998 le pape a modifié le Code. Alors qu’une profession de foi dans la seconde adjonction au Credo devait être de fait exigée par le groupe déjà mentionné chargé de sa diffusion, le complément apporté au Code en fait une obligation légale pour tous les fidèles. Le c. 750 a été complété par un § 2. La contravention à ce règlement doit faire l’objet d’une juste peine. Les dispositions sur les sanctions pénales du c. 1371 n.2 du CIC ont été complétées en conséquence. Quiconque plaide en faveur de l’ordination sacerdotale des femme peut donc depuis le 1er octobre 1998 , date de l’entrée en vigueur de cette lettre, être exhorté à se rétracter, éventuellement sanctionné mais être également appelé directement par Rome à rendre des comptes. Vous n’allez pas me taxer d’extrémisme. Mais je me demande bien comment l’évêque de Dresde-Meissen va se comporter avec le Président du “ Comité Central des Catholiques allemands ” et quelle sera l’attitude de l’archevêque de Berlin envers Madame Laurien, maintenant que cette lettre est entrée en vigueur.

j) Lettre Apostolique Motu Proprio nommé “ Apostolos suos ” sur la nature théologique et juridique des conférences épiscopales, en date du 21 mai 1998. -

En juillet 1998 le Cardinal Ratzinger a présenté une Lettre Apostolique sur la nature théologique et juridique des conférences épiscopales . Il se réfère à une suggestion formulée lors du synode des évêques de 1985. Dès 1988 existait un document de travail établi par plusieurs congrégations. En gros celui-ci s’appuyait sur la thèse suivante: Seules les fonctions du pape et de l’évêque diocésain sont de droit divin. Ce qui est situé entre les deux, comme par exemple la conférence épiscopale, est de droit ecclésial et peut par conséquent être aboli. Les conférences épiscopales servent principalement à l‘échange personnel entre évêques, le plus souvent en matière de pastorale, et aux votes qui ne lient pas un évêque particulier. Elles ne doivent pas devenir une instance intermédiaire dans la hiérarchie ; elles ne sauraient constituer une entrave à la responsabilité de l’évêque diocésain dans le gouvernement de son diocèse. En dépit de la critique formulée envers ce document de travail, son idée fondamentale a été adoptée par la Lettre Apostolique. Celle-ci exprime à nouveau clairement ce qui figure déjà dans le c. 455 § 4 du CIC: Dans la plupart des domaines une décision de la conférence épiscopale n’exprime qu’une recommandation. La Lettre Apostolique contient par ailleurs un complément juridique concernant la compétence de la conférence épiscopale en matière de doctrine définie dans le c. 753 du CIC. La conférence épiscopale ne détient pas en propre une compétence doctrinale. Elle doit avant tout “ transmettre ” des doctrines de l’Eglise universelle. Ses doctrines ne peuvent avoir force de loi que lorsqu’elles sont défendues à l’unanimité. Mais alors il s’agit moins de la compétence de la conférence des évêques en matière de doctrine que bien plutôt d’une doctrine des évêques particuliers adoptée à l’unanimité. Si une doctrine ne recueille qu’une majorité des deux tiers, une confirmation de l’autorité romaine est exigible pour lui donner force de loi.

3.- Résumé .

On traduit le mot “ hiérarchie ” par “ origine sacrée ” et “ pouvoir sacré ”. Ce qui a été établi et promu au rang du Droit canon montre nettement d’après la constitution de l’Eglise et d’après la manière dont la puissance y est exercée qu’il s’agit d’un “ pouvoir sacré ”. Et qu’en est-il de la “ liberté du chrétien ”? Ce que l’on exige des fidèles dans la réalité ecclésiale, c’est de comprendre et d’accepter le “ pouvoir sacré ” comme la véritable forme de cette liberté ; il ne peut y avoir légitimement , d’après la définition ainsi donnée, de liberté opposée à la hiérarchie, opposée au magistère. “ La conscience, répète l’encyclique “ Veritatis Splendor ” n’est donc pas une source autonome et exclusive pour décider ce qui est bon et mauvais; au contraire, en elle est profondément inscrit un principe d’obéissance à l’égard de la norme objective qui fonde et conditionne la conformité de ses décisions aux commandements et aux interdits qui sont à la base du comportement humain ” (No 60). Et plus loin: “ Pour former leur conscience, les chrétiens sont grandement aidés par l ‘Eglise et par son Magistère ” (No 64). La formule se résume donc ainsi: La liberté chrétienne se réalise dans l’obéissance. Vous voyez à quel point mon désir de placer un point d’interrogation derrière le sujet de votre assemblée était justifié .

II.- Comment se comporter face à cette réalité ecclésiale?

Il est possible que le bilan dressé jusqu’ici nous accable. Et il sera compréhensible que vous me demandiez: Que peut-on encore faire face à une telle fermeture du système? Que reste-t-il aux fidèles qui ne se résignent pas ou ne fuient pas dans une opposition fondamentale, mais qui veulent faire bouger quelque chose dans leur Eglise?

1. L’Eglise dont on rêve et l’Eglise telle qu’elle est .

La démarche fondamentale consiste à faire face avec clairvoyance à cette situation, à prendre acte d’une Eglise ainsi constituée juridiquement, à lire dans l’ensemble des lois de l’Eglise le sens que lui donne le législateur . Le regard lucide que l’on y porte libère, il libère d’illusions , de leurres qui embellissent la réalité , de projections de nos désirs qui idéalisent ainsi notre vision et celle des autres à propos de réalités qui sont de fait moins positives. Je n’ai rien contre “ l’Eglise dont on rêve ”, mais je suis totalement opposé à sa confusion avec l’Eglise telle qu’elle est. Je n‘ai rien contre “ l’Eglise dont on rêve ” comme une vision qui est le ressort de notre action, mais je suis totalement opposé à sa réalisation sous forme de l’Eglise imaginée selon nos voeux personnels, qui ne touche pas à la réalité de l’Eglise actuelle. Commençons donc par porter notre regard sur les structures: Sans ce regard lucide nous n’aurons pas une appréciation juste de la situation et sans cette appréciation nous n’aurons pas de stratégies permettant une action efficace.

2.- Rester vigilant face à la tendance à minimiser la gravité et l’importance des faits .

Si le constat peut être ressenti aussi douloureusement , c’est bien la preuve qu’on a dû le gagner de haute lutte en le libérant des déformations. Pour le conserver il faudra le protéger de nouvelles altérations. Et c’est pourquoi les fidèles devraient, en second lieu, être vigilants face aux différentes manières dont on tente de minimiser la gravité et l’importance de la situation, telle qu’elle se présente dans l’Eglise d’aujourd’hui . Qu’on le veuille ou non: en apportant l’apaisement, cette tendance est une entrave au changement. Dans ce qui suit je présenterai les manières dont on minimise cette gravité et cette importance.

a) On fait des carences structurelles une affaire de personnes .-

Une manière subtile mais répandue de minimiser la gravité de la situation consiste à transformer les problèmes structurels en affaires de personnes. Ils se trouvent “ réduits ” ainsi aux dimensions de problèmes causés par des individus et liés à eux. Les cibles particulières des attaques sont au Vatican le Pape Jean-Paul II et le Cardinal Ratzinger, en Allemagne ce sont le Cardinal Meisner et l’archevêque Dyba, au Liechtenstein l’archevêque Haas , en Autriche l’archevêque Eder et les évêques Krenn et Küng. Si légitime que soit parfois la critique, on doit se demander si sa portée n’est pas trop courte et si elle ne s’en prend pas ici aux personnes à propos de ce que les structures leur permettent. Comparés à de tels “ boucs émissaires ” hiérarchiques d’autres qui ne tiennent pas nécessairement et inconditionnellement à une transformation des structures peuvent faire en outre figure de “ modèles lumineux ”. Les fidèles ne doivent pas perdre de vue les structures. Ils doivent concentrer leurs regards sur la doctrine définie par la hiérarchie et sur les actes de gouvernement légitimés par elle.

b) On minimise la gravité des questions juridiques. -

En réduisant leur importance on stabilise le système et c’est ce qui arrive lorsque les questions juridiques sont classées comme secondaires, voire dénigrées comme “nombrilisme ”, “ fixations internes ” ou “auto-contemplation narcissique”. L’engagement des catholiques, hommes et femmes, doit porter , dit-on, sur les questions vraiment importantes : la situation dans le tiers-monde ou la question de Dieu qui, en raison des contours de plus en plus diffus de la foi, doit figurer à l’ordre du jour. En réalité il s’agit là de fausses alternatives particulièrement fâcheuses, car elles contiennent implicitement la condamnation d’une attitude morale. Comme si les catholiques, hommes et femmes, qui sont sensibles aux questions de structures oubliaient la misère du tiers-monde! Je considère comme critiquable d’utiliser précisément cette misère pour des manoeuvres de diversion qui détournent de la politique ecclésiale , comme si la question de Dieu pouvait rester vivante indépendamment des expériences de l’Eglise. Et les expériences de l’Eglise sont également conditionnées par son organisation structurelle.
Permettez-moi de dire ici un mot à propos du droit canon. Je présume que beaucoup d’entre vous ne l’aiment pas. Et je puis le comprendre: vous n’avez pas besoin de l’aimer, mais vous devriez le connaître. Pourquoi? Pour pouvoir assumer méthodiquement les conflits dont vous avez à supporter l’épreuve. Une spiritualisation du droit dictée par l’intérêt - par exemple dans la notion de “ communion ” - conduit à relativiser en les spiritualisant les rares barrières juridiques qui nous protègent de l’arbitraire des hiérarques. Nous avons besoin de normes ecclésiales qui soient non pas moins nombreuses, mais différentes et qui méritent de porter le nom de “ droit ”.
Revenons à notre sujet: quiconque minimise l’importance des problèmes structurels doit se voir demander s’il n’est pas éventuellement un profiteur du statu quo.

c) On met la réalité en harmonie avec la proclamation de la Parole et avec la théologie. -

Une méthode permettant de mettre la réalité en harmonie avec la proclamation de la Parole et la théologie, et qu’il est difficile de déceler, consiste à envelopper des structures ecclésiales rigides dans des images et des concepts accommodants. Les fidèles doivent être sur leurs gardes lorsque le statu quo est décrit sous une forme qui ne semble pas rendre sa modification nécessaire. Celui qui parle en faveur de la “ communion ” ne pense pas nécessairement à une Eglise de frères et de soeurs au sens où on l’espère souvent. Celui qui affirme que l’Eglise est déjà “communion” devra accepter qu’on lui demande - peut-être sous forme de questions critiques - ce qu’il entend concrètement par là. Ce n’est que complétée par l’épithète “hiérarchique” que son affirmation sera juste. Celui qui parle de liberté dans l’Eglise devra la prouver; à moins qu’il n’admette qu’il entend par là l’obéissance, vu que la liberté chrétienne n’est pas la même chose que la liberté dans le monde profane. L’Eglise représentée par l’image de “cercles concentriques” peut éventuellement remplacer des structures de domination et de subordination par un regroupement de positions centrales et périphériques. Une pyramide “réduite à deux dimensions” ne perd pas automatiquement ses structures de dépendance interne. Conjugués ou en alternance, l’intention et l’effet de telles descriptions sont de présenter aux fidèles des structures inchangées de telle sorte qu’ils s’y sentent plus à l’aise . Et celui qui se sent à l’aise ne “se rebiffe” pas. Le regard lucide porté sur la réalité risque alors de se perdre. Là aussi il faut se demander: qui en tire profit?

d) On apaise en prétendant vouloir relativiser. -

Une forme également répandue d’apaisement consiste dans l’incitation à ne pas prendre à ce point au sérieux tout ce qui vient de Rome. C’est là bien sûr une manifestation claire de la perte d’autorité pour le pouvoir central. Mais c’est tout autant une attitude dangereuse qui nuit aux fidèles . Ce qui était en 1988 un document de travail de fonctionnaires romains à propos du statut des conférences épiscopales est devenu en 1998 une loi. Des projets de doctrines que l’on ne contredit pas formellement aujourd’hui peuvent faire demain partie des normes traditionnelles de l’Eglise. C’est l’absence d’opposition à des assertions concernant le caractère définitif de certaines doctrines qui pourra fonder demain leur légitimité.

e) On apaise en évoquant la venue de jours meilleurs. -

Et n’oublions pas pour terminer l’argument bien connu que l’Eglise marche en fait à son rythme propre. Ce qui n’existe pas aujourd’hui, dit-on, n’est pas exclu à jamais. A mon avis du moins, on fait ici appel à un sens du temps sur lequel les catholiques, hommes et femmes, n’ont plus prise. Ce qui est suspect, c’est surtout le caractère totalement indéfini des délais, au nom duquel on recommande l’endurance dans un attentisme passif et indulgent.

3. C’est sur les évêques diocésains que devraient se concentrer les regards.

Comment peut-on porter sur l’avenir un regard dessillé? Que peut-on faire? A mon avis les fidèles devraient plus concentrer leur attention sur les évêques diocésains . Je considère que des exigences présentées directement à Rome sont des coups d’épée dans l’eau. Exiger de Rome plus de liberté pour les évêques revient à risquer le tout pour le tout tant qu’on ne sait pas clairement si les évêques s’érigeront alors en papes dans leurs diocèses ou s’ils aspireront à un surcroît de participation face au Pape au nom des causes qui sont apparues comme les fruits de la participation des fidèles eux-mêmes.

a) A propos de la situation des évêques diocésains .-

Les évêques diocésains sont les représentants directs du système hiérarchique. Ce sont des hommes qui comprennent et sont capables de comprendre diversement la situation et dont les horizons intellectuels sont plus ou moins étendus . Ils ont des points de vue différents en matière de politique ecclésiale et sont fréquemment tourmentés par leurs peurs. On peut imaginer qu’ils se demandent: quel sera l’effet de mes propos sur mes confrères voisins , sur la conférence épiscopale, sur le Vatican? Il en est sans doute certains qui ont pris des initiatives nouvelles sur un point déterminé et qui passagèrement ne prennent pas le risque d’un nouveau conflit. Pour d’autres, ce qui leur manque, c’est tout simplement la liberté d’en faire plus pour que le Peuple de Dieu jouisse d’une participation accrue. Les évêques sont dans leurs fonctions parce qu’ils ont offert un jour à Rome par les critères de leur élection et en vertu du “ serment de fidélité ” la garantie de “rester dans la ligne prescrite”. Ils ne remarquent pas le divorce existant entre la dignité théologiquement explicite de la fonction épiscopale et leur position juridique imposée par la réalité, ou bien ils s’y soumettent.

b) Questions à propos de cette position juridique. -

Pourquoi serait-il épargné aux évêques de prendre une position favorable ou réservée vis-à-vis de ce divorce, et cela en toute franchise face aux fidèles ? Pourquoi leur serait-il épargné de montrer s’ils prennent les fidèles seulement pour des auditeurs et auditrices passifs et des subordonnés ou pour des interlocuteurs ou interlocutrices, des frères et soeurs dans le Seigneur, qu’il faut prendre au sérieux? Cela n’implique aucune agressivité. L’enjeu est bien plutôt de renforcer la conscience d’une participation accrue, nécessaire et possible , et cela non pas en court-circuitant les évêques par la subversion mais en les impliquant et en les associant afin qu’ils dominent petit à petit leurs timidités. On a pu constater de telles craintes mais aussi les signes de leur diminution par exemple dans un certain nombre de “ forums diocésains ”.

c) Les questions relatives à la participation des fidèles .-

La simple méthode qui se présente est de demander constamment, avec patience et ténacité , aux évêques diocésains de fournir des informations sur ce qu’ils pensent des diverses requêtes des fidèles . De la sorte on ne porte pas atteinte aux liens officiels qui nous rattachent à eux. Il faut le faire dans des formes adéquates. C’est seulement ainsi que l’on préviendra l’astuce bien connue qui consiste à éviter une discussion sur le sujet en en critiquant le style. L’enjeu, c’est de montrer que cette action est menée non par un groupe hostile à l’Eglise mais par des fidèles qui s’intéressent à la transmission de la foi et à la vie de l’Eglise dans l’avenir. Pour quelles raisons serait-il épargné à un évêque diocésain d’expliquer pourquoi il n’adopte pas des mesures juridiquement possibles en faveur d’une participation accrue des fidèles, pourquoi il ne fait aucun usage des possibilités qui le lient juridiquement à eux ou pourquoi il ne les utilise pas plus ? Le conseil presbytéral peut par exemple proposer à l’évêque diocésain de prévoir dans le statut qui doit lui être accordé le droit de soumettre des questions concrètes à son approbation. Pour le conseil pastoral diocésain on pourrait imaginer une réglementation aux termes de laquelle l’évêque expose les raisons de son opposition à un projet et les met en discussion. Les décisions du conseil paroissial prises contre la voix du curé peuvent - comme c’est le cas dans l’évêché de Limburg - rester d’abord provisoirement en suspens lorsque une demande de médiation formulée par ce conseil a échoué et jusqu’à ce qu’une décision de l’évêque tranche. Et lorsque l’évêque refuse des solutions possibles de ce genre, on doit lui demander ses raisons. Et s’il pense ne pas être obligé de les fournir, son attitude sera profondément révélatrice du sens qu’il donne à sa fonction.

d) Les évêques de la région du Rhin supérieur et la communion des divorcés remariés .-

Pourquoi les évêques de la région ecclésiastique du Rhin supérieur ont-ils d’abord tenté une “ percée ” dans la question de l’admission à la table eucharistique et ont-ils appuyé en prenant leur responsabilité d’évêques une pratique déjà amplement répandue dans la pastorale? Certainement parce que, face à la détresse des personnes concernées, ils s’y sentaient obligés en leur conscience de pasteurs. Et pourquoi, après le rappel à l’ordre venu de Rome ont-ils rejeté la responsabilité sur les pasteurs locaux? Leur décision prise en conscience ou leur évaluation de la détresse a-telle subi une modification? Dans ce cas il faudrait en exposer les raisons . Ou bien pensent-ils n’avoir ni le droit ni la possibilité de faire prévaloir face à Rome une décision prise en conscience? Il est permis de leur poser la question.

e) Les délibérations préliminaires à la Lettre “ Ordinatio sacerdotalis ”. -

Avant que ne soit publiée la Lettre Apostolique sur l’impossibilité d’accorder l’ordination sacerdotale aux femmes, un groupe d’évêques spécialement désignés, dont faisait vraisemblablement partie le Président de la Conférence des Evêques d’Allemagne , s’est trouvé placé à Rome face à un projet. Un journal américain a rapporté que l’on avait remplacé sous la pression d’évêques américains le terme “ infaillible ” par “ definitive tenendam ”, ce qui englobe en fait l’infaillibilité. Les évêques membres du groupe peuvent être questionnés sur ces procédures. Selon quels critères les évêques sollicités ont-ils été choisis? Dans quel cadre et sous quelle forme ont-ils pu exprimer leur point de vue? Quelle a été leur attitude face au caractère obligatoire de cette doctrine? Se sont-ils exprimés à ce sujet? Et s’ils ne tenaient pas cette doctrine pour irréversible, pourquoi ne s’y sont-ils pas opposés avant ou après sa publication? Pourquoi les évêques concernés n’ont-ils pas fait connaître immédiatement ce qu’ils avaient appris à Rome à leurs confères dans l’épiscopat, la prêtrise et le diaconat ainsi qu’au Peuple de Dieu et pourquoi ont-ils plutôt tenu cette procédure secrète? La dignité des fidèles n’exige-t-elle pas qu’ils soient informés sur une démarche de cette importance?

f) Les points de vue sur le diaconat de la femme. -

Les évêques diocésains peuvent se voir demander ce qu’ils pensent du diaconat de la femme, s’ils le refusent catégoriquement et pourquoi et comment ils le conçoivent avec précision: comme une fonction spécifique de la femme, indépendante des trois ordres successifs réservés aux hommes , ou comme diaconat au sens du premier degré de cette hiérarchie, qui d’après la doctrine exposée dans “ Ordinatio sacerdotalis ” serait évidemment la dernière pour les femmes? Tout cela seraient des informations importantes, et non seulement pour les femmes. Et si un évêque devait se prononcer en faveur de l’ordination des femmes au diaconat, on pourrait lui demander ensuite quelles initiatives il déploie pour que cette conviction qui est la sienne soit réalisée dans l’Eglise .

g) Les “ décisions ” de la conférence épiscopale. -

Pourquoi les réflexions et les décisions de la conférence épiscopale doivent-elles rester à ce point secrètes? Ce n’est que pour des sujets peu nombreux qu’elle doivent aboutir à des décisions qui ont force de loi . Dans les autres cas la compétence de l’évêque du lieu concerné reste entière; ces décisions ne sont que des recommandations ; ni la conférence ni les présidents ne peuvent agir au nom des évêques si tous n’ont pas donné leur approbation. Bien sûr il y a des détails qui - comme les questions de personnel - exigent d’être traités confidentiellement. Mais pourquoi ne peut être exprimé clairement le point de vue qu’un évêque a adopté dans les autres cas? Pourquoi un évêque ne serait-il pas questionné sur l’expression de son vote?

h) Les évêques diocésains et le “ sensus fidelium ”. -

Lorsque les évêques font au Vatican un rapport - écrit ou oral - un point important est leurs explications sur le “ sensus fidelium ” dans leur diocèse, donc sur ce que leurs diocésains et diocésaines croient réellement. Questionné pour savoir si le Vatican interrogeait aussi des représentants du Peuple de Dieu sur ces questions, le Cardinal Ratzinger a répondu dans son livre “ Le sel de la terre ” paru en 1996 qu’il considérait comme établi que les évêques en étaient parfaitement informés et qu’ils le transmettaient également (p. 96 et suiv.). On peut demander aux évêques si et comment ils s’informent sur le “ sensus fidelium ” des fidèles qui leur sont confiés et s’ils le rapportent intégralement ou non à Rome.

i) Au sujet des réponses aux questions posées. -

Les fidèles peuvent poser personnellement ces questions et d’autres aux évêques dans les instances consultatives. D’autres fidèles devraient les adresser sous forme de lettres aux évêques. Pour les formuler ils devraient prendre conseil, afin que ce qu’ils veulent exprimer le soit avec précision. Pourquoi commencer par réagir sous forme de déclaration? Et si un évêque ne répond pas lui-même, s’il répond sans apporter des raisons convaincantes s’il réagit seulement en pur diplomate ou s’il se soustrait totalement à une réponse , il faudra revenir à la charge en invoquant la dignité du Peuple de Dieu. Et si même cela reste sans succès, il peut être légitime de faire connaître cette situation à d’autres fidèles. Il peut se faire qu’on démasque ainsi le “ faux libéralisme ” dont s’ornait un évêque. Dans la coopération oecuménique également il faudrait par honnêteté attirer l’attention sur le comportement des évêques .

j) Les évêques diocésains: des vicaires généraux du Pape? -

Ce que Rome prescrit et enseigne lie également les évêques diocésains. En ce sens ils sont les exécuteurs des ordres. Ils agissent souvent en fonction de vicaires généraux du Pape ( le vicaire général doit s’acquitter de sa charge en harmonie avec l’évêque diocésain, il n‘a jamais le droit de le faire contre l’opinion et la volonté de ce dernier ). Ils se laissent tenir en laisse plus d’une fois par des fonctionnaires de la Curie romaine. Mais au titre d’évêques diocésains et de successeurs des apôtres ils ont dans le cadre du Droit la possibilité de présenter et de légitimer par des arguments leur opinion avec fermeté même face au pape et au Vatican. Ils peuvent mettre en garde, là où c’est recommandé . Un évêque auquel la direction suivie par le pape et sa curie semble être nuisible à l’Eglise ou qui ne peut se conformer à une décision romaine qui n’est pas infaillible a la possibilité de demander pour des raisons de conscience d’être démis de sa charge, ou mieux encore: il continuera d’assumer le gouvernement de son diocèse et fera connaître au pape les motifs qui le déterminent . Il reviendra alors au pape de démettre éventuellement cet évêque diocésain de ses fonctions. Cette démarche est à tout moment possible au pape en raison de sa primauté de juridiction.

Conclusion.

Mesdames et Messieurs , vous avez voulu entendre sur le sujet “ Liberté des chrétiens au lieu d’un pouvoir sacré? ” les remarques d’un canoniste à propos de la situation actuelle de l’Eglise. Sous sa forme juridique, c’est-à-dire dans sa réalité qui est décisive pour la manière dont vous vivez cette Eglise, celle-ci se présente comme le lieu d’un pouvoir fondé sur le sacré, dans lequel la liberté du chrétien devient obéissance . Je n’ai pas tenté de répéter des exigences trop connues que l’on peut faire valoir du point de vue juridique, face à un tel système , et pour lesquelles il existe depuis longtemps pour le droit canon des propositions concrètes. Je pense par exemple aux droits garantis et à leur protection effective, aux servitudes imposées également aux décideurs par le droit, à la participation de tous les fidèles dans les décisions concernant les personnes et les causes abordées, ainsi qu’à d’autres détails. J’ai essayé, en dépit d’un bilan dépourvu d’illusions, d’indiquer d’autres possibilités. Elles reposent sur l’espoir que la confrontation directe et constamment répétée avec les préoccupations fondamentales des fidèles maintiendra chez l’évêque son rôle d’apôtre en éveil et sur le voeu que les vicaires généraux du pape se reconnaissent comme tels et s’accommodent d’être considérés comme tels également par les fidèles.

Werner Böckenförde, Fribourg/Brisgau.



Prof. Dr. Dr. Werner BÖCKENFORDE
Oberau 59
79102 F R E I B U R G

Tel.: (0)761-38.33.53
Fax: (0)761-28.59.311


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Webpage Editor: Ingrid H. Shafer, Ph.D.
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Posted 3 October 1999
Last revised 3 October 1999
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